La loi de l’UE sur la déforestation coûtera 11 milliards $ par an aux pays subsahariens (rapport)

Alors que des filières comme le cacao et le café représentent jusqu’à 25% du PIB de certains pays africains, le rapport souligne que la nouvelle législation européenne risque d’avoir des dommages collatéraux tels que l’augmentation de la pauvreté, le détournement des ressources et l’entrave à la réalisation des objectifs de développement durable.

L’Afrique subsaharienne pourrait perdre jusqu’à 11 milliards de dollars de recettes d’exportation de matières premières agricoles par an suite à l’entrée en vigueur du règlement de l’Union européenne (UE) contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), prévue en décembre 2025, selon un rapport publié le vendredi 4 avril 2025 par le Commonwealth.

Intitulé « The EU deforestation regulation : trade and investment implications for sub-Saharan african countries », le document rappelle que la loi anti-déforestation de l’UE imposera des obligations à toutes les entreprises qui importent certaines matières premières en Europe. En vertu de cette législation adoptée en 2023, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja, le bois et les produits bovins ainsi que leurs dérivés ne devront pas provenir de terres déboisées, et les importateurs devront garantir une traçabilité totale.

Alors que l’expansion des terres agricoles constitue le principal moteur de la déforestation et de la dégradation des forêts à l’échelle mondiale, la législation a été proposée par la Commission européenne pour limiter l’impact de la demande européenne sur la déforestation. En effet, la consommation de l’UE serait responsable d’environ 10% de la déforestation à l’échelle planétaire, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO.).

Les obligations découlant de ce règlement anti-déforestation seront contraignantes à compter du 30 décembre 2025 pour les grands opérateurs et les négociants, et à compter du 30 juin 2026 pour les micro, petites et moyennes entreprises.

L’Afrique subsaharienne, qui perd environ 3,9 millions d’hectares de forêts par an et dont 45% des terres sont touchées par la désertification, est un producteur et un exportateur majeur des matières premières et des produits couverts par ce règlement. Le cacao, le café, le soja, le bois et l’huile de palme sont des produits vitaux pour les économies de la région, contribuant jusqu’à 25% au produit intérieur brut (PIB) et représentant de 60% du total des emplois dans certains cas.

Entre 2021 et 2023, la valeur annuelle moyenne des exportations des matières premières couvertes par la loi anti-déforestation européenne et de leurs dérivés par les pays d’Afrique subsaharienne s’est établie à 40,15 milliards de dollars. Sur cette enveloppe, environ 11 milliards de dollars, soit 27,4 % proviennent des exportations vers l’UE. Et c’est cette somme que la région risque de perdre si elle ne se conforme pas à la nouvelle mesure de « zéro déforestation ».

Le cacao, une filière très vulnérable

Dans la pratique, les pertes devraient être inférieures à la facture totale des exportations, étant donné que plusieurs pays africains produisent déjà du cacao et du café certifiés durables. De même, de grands négociants tels que Cargill et Barry Callebaut appliquent des normes de durabilité et disposent d’une traçabilité jusqu’à la coopérative pour une partie non négligeable de leurs approvisionnements en Afrique subsaharienne.

Plusieurs pays africains ont également commencé à mettre en place des mesures spécifiques de réponse aux injonctions de durabilité et de traçabilité de l’UE. Au Ghana, l’Office national du cacao (Cocobod) a par exemple annoncé, en septembre 2024, avoir expérimenté avec succès un système de traçabilité des fèves de cacao dans le cadre d’une phase pilote alors qu’au Nigeria, un groupe de travail national (NTF) a été lancé quelques semaines plus tard pour permettre d’assurer la conformité du secteur agricole à la loi européenne.

Théoriquement, le cacao est le produit le plus vulnérable, étant donné que 59% des quantités produites au Sud du Sahara sont exportées vers l’UE pour une valeur estimée à 5,93 milliards de dollars en moyenne par an.

Le rapport souligne dans ce cadre que les petits exploitants agricoles sont les plus vulnérables puisqu’ils manquent des ressources nécessaires pour couvrir les coûts liés à la certification, au contrôle et à la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement. Les entreprises exportatrices pourraient également voir leurs bénéfices diminuer, ou même cesser leurs activités s’ils ne peuvent plus accéder au marché européen.

Avec la baisse des recettes d’exportation, les taux de pauvreté dans les communautés touchées pourraient augmenter car de nombreuses familles, en particulier dans les zones rurales, dépendent des revenus générés par les activités liées à l’exportation des produits de base touchés.

Dans le même temps, l’éventuelle incapacité des exportateurs à se conformer aux nouvelles règles de l’UE visant à prévenir la déforestation pourrait aussi entraîner des baisses de recettes en devises des Etats.

Pour limiter les impacts négatifs de la loi anti-déforestation de l’UE sur les économies, les entreprises et les moyens de subsistance des agriculteurs en Afrique subsaharienne, le rapport recommande aux Vingt-Sept de fournir un accès adéquat à l’expertise et à l’assistance financière et technique aux pays de la région et d’adopter davantage leur législation aux contextes africains. L’intérêt devrait également se porter sur le renforcement des industries locales de transformation des matières premières agricoles, l’investissement dans la recherche agricole pour augmenter les rendements des cultures et limiter la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis ainsi que sur le développement des chaînes de valeur régionales et la stimulation du commerce intra-africain afin de compenser les éventuelles pertes de parts de marché sur le Vieux Continent.

Avec Chronik’Eco/Agence Ecofin

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